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Interview dans Le Défi Quotidien: Les politiciens et la presse
Cette interview a été publiée dans Le Défi Quotidien le 15 août 2017
Elle ne s’étonne guère de la montée d’adrénaline de certains politiciens à l’égard de la presse qui joue, volontairement, ce petit jeu. Pour Christina Chan-Meetoo, chargée de cours en communication à l’Université de Maurice, ce n’est rien de moins qu’un Muppet Show, mais de mauvais goût.
Comment expliquer cette montée d’adrénaline de la part de nos politiciens ces derniers temps ?
C’est un phénomène qui n’est pas nouveau à Maurice. Sous tous les gouvernements, on a vécu cette montée d’adrénaline, mais cette posture n’est pas le seul apanage des gouvernants, mais également de l’opposition du jour. C’est comme le jeu du chat et de la souris, c’est un rythme de notre paysage médiatique. Je ne connais aucun régime où il n’y a pas eu de querelles entre journalistes et politiciens. C’est comme une télénovela qui devient lassante avec le temps, car on nous ressert le même menu à chaque fois. Il faut reconnaître qu’il n’y a jamais eu d’arrestations après ces échanges, mais cela relevait plus de la confrontation verbale, on brûle les journaux par exemple.
Nos politiciens n’accepteraient pas des questions dites dérangeantes ?
Agir de la sorte fait partie de l’ADN des Mauriciens. Pousser les politiciens fait partie du rôle des médias et c’est de la pub gratuite, une manne tombée du ciel, si les politiciens réagissent mal à certaines questions. Je le répète, on en a assez, car on n’est pas au stade d’une démocratie mature. Il faut que les médias aillent plus loin au lieu de rester cloîtrés dans la confrontation. Quand quelqu’un devient leader, il ne peut être totalement transparent, car il devient un autocrate en puissance. Il faudrait plutôt s’engager dans des débats non-passionnels. On constate qu’ici, on s’amuse, on se délecte des confrontations.
Un show, selon vous ?
C’est un show pathétique joué par les deux camps, c’est presque du Muppet Show ou un retour au cirque romain que jouent les politiciens et la presse. La presse aime bien les phrases assassines, cela fait vendre.
Est-ce dans la normalité des choses qu’un ministre choisisse quels titres de presse peuvent couvrir ses activités officielles ?
Si tel est le cas, il n’est pas normal qu’un ministre porte son choix sur tel ou tel titre de presse, car les journalistes partagent tous la même carte de presse officielle.
Parlons des cellules de communication des ministres. C’est presque toujours un silence assourdissant de leur part. Paradoxal ?
Si les responsables de communication des ministres ont choisi de faire l’impasse sur des informations et agissent de façon délibérée, on n’y peut rien. Ce sont des choix stratégiques. Aucun gouvernement au monde n’a une cellule de communication parfaite. Il y a une tendance mondiale où il y a des personnes dans des postes de responsabilité qui ne sont pas prêtes à jouer la transparence. Par exemple, Donald Trump choisit des questions venant des journalistes de son choix. Heureusement qu’on est dans une ère où les informations sont disponibles sur plusieurs plateformes.
Ce qui n’est pas le cas du contenu des accords et contrats signés par le gouvernement, comme le Metro Express…
Pour ce qui est du Metro Express, la demande de transparence est légitime de la part du public qui a besoin d’une transparence. Mais, techniquement et légalement, les gouvernants n’ont aucune obligation de rendre publiques ces informations avec l’absence d’une Freedom of Information Act. En revanche, une tonne d’informations formelles sont disponibles volontairement sur des sites de certains ministères et organismes parapublics mais qui ne sont pas très user friendly, il faut le reconnaître. On doit juste savoir fouiller, dénicher et décoder les documents en PDF. C’est assez étonnant dans le contexte dans lequel nous vivons.
Dans ces cas-là également, il y a le choix volontaire des gouvernants de décider des informations qu’ils veulent bien vendre au public. Cela ne s’apparente-t-il pas à de la tricherie ?
Tant qu’on n’aura pas cette Freedom of Information Act, il faut faire avec, faute de mieux. J’estime qu’il est temps d’interroger le système et revoir le manuel des fonctionnaires et l’Official Secrets Act.
On en parle depuis des lustres de cette Information of Freedom Act. Y a-t-il une volonté politique pour aller dans ce sens ?
Il faut reconnaître qu’il y a eu une petite avancée en termes de volonté politique. Le gouvernement est signataire de l’African Commission for Human and People Rights qui est sous l’égide de l’Union africaine (UA). Le Conseil des ministres de ce gouvernement a fait savoir dans un document officiel que Maurice s’engage à introduire une Freedom of Information Act. Il est également fait mention qu’une ébauche est en préparation, sûrement par le Parquet. Les États-membres ont le devoir de soumettre un rapport chaque cinq ans pour faire savoir si les choses bougent dans la bonne direction.
N’est-ce pas simplement pour épater la galerie ?
Le document envoyé à l’Union africaine fait mention, noir sur blanc, que Maurice s’achemine vers cette loi et c’est la première fois que ce move a l’air sérieux. Année après année, régime après régime, tous promettent cette Information of Freedom Act dans leur manifeste électoral. Toutefois, il y a un bémol : avec une telle législation, il nous faut des fonctionnaires formés et préparés pour jouer le jeu démocratique.
Qu’en sera-t-il des informations dites confidentielles ?
Il y a des informations sur la vie privée et la sécurité nationale qui vont demeurer confidentielles, et c’est tant mieux. Mais, toujours est-il qu’on note des progrès dans le bon sens. Comme toute loi est appelée à évoluer, la Freedom of Information Act ne dérogera pas à cette règle, comme l’Afrique du Sud qui considère actuellement quelles informations sont de nature confidentielle et pas.
On n’échappe pas au tri au millimètre près…
Un tri est obligatoire, sinon on pourrait voir étalées sur la place publique des données privées. Prenons l’exemple d’un drone qui vole au-dessus d’un quartier résidentiel. Sait-on qui le pilote et pour quel motif ? Si une personne est en petite tenue chez elle, ce drone a-t-il le droit de capter l’image ? Cela friserait du voyeurisme. Car, un drone est l’équivalent d’une récolte d’informations. Il faut des balises.
Quand on parle de la Freedom of Information Act, est-ce que cela va de pair avec la régulation de la presse ?
Mon souhait serait qu’il y a la liberté de l’information et un dépoussiérage du rapport Robertson. Il parle d’autorégulation de la presse. Que constatons-nous ? On guérit les symptômes mais jamais les causes. Même si la presse n’est pas un produit commercial comme un autre, elle doit s’exposer à de l’autocritique pour s’améliorer et mettre en pratique un code d’éthique, pas uniquement pour la galerie.
Interview: Le travail au niveau de notre identité collective est inachevé
Cette interview a été publiée le 29 juin 2017 dans Le Défi Quotidien.
L’Université de Maurice, en association avec le Mauritius Research Council, organise depuis le 28 juin une conférence internationale sur le thème « Mauritius after 50 years of Independence : Charting the Way Before ». Christina Chan Meetoo, qui est Senior Lecturer en communication et média et qui coorganise la conférence, nous donne sa lecture.
Pourquoi avoir recherché la contribution de chercheurs étrangers pour cette conférence ? Quel est leur dénominateur commun ?
Notre appel à participation ne visait pas des chercheurs étrangers de manière spécifique. En fait et ce depuis plusieurs mois, nous avons fait circuler un appel à communication de manière très large dans le monde académique. Sachez que nous avons été surpris par l’engouement des chercheurs tant locaux qu’étrangers.
Nous comptons plus d’une soixantaine de délégués, dont 50 chercheurs présentant 40 communications orales. Ils viennent de 23 institutions universitaires de 17 pays participants, dont Maurice. La moitié d’entre eux sont des Mauriciens et c’est normal. Quant aux chercheurs étrangers, nous avons été étonnés de voir autant d’études déjà consacrées à notre île.
À une année des célébrations d’un demi-siècle de l’Indépendance de Maurice, pourquoi estimez-vous que ce bilan-réflexion d’envergure et inédite est nécessaire ?
Cinquante ans c’est à la fois peu et beaucoup. C’est un âge relativement jeune dans le grand schéma de l’histoire, mais c’est aussi la maturité à l’échelle du temps de la vie humaine. Nous sommes à une période charnière durant laquelle plusieurs générations se côtoient. Les plus anciens peuvent encore témoigner de l’histoire à partir de la période entourant l’octroi de l’indépendance.
Il est impératif que ces connaissances soient transmises aux jeunes générations avant qu’elles ne se perdent, d’autant qu’il y a eu, entre-temps, une certaine forme d’amnésie au niveau des institutions et des individus. Une conférence comme celle-ci permet de prendre de la distance de manière plus objective et analytique sur notre passé et notre présent et pourquoi pas, notre avenir en tant que nation.
Il faut commencer par reconnaître que Maurice a accompli pas mal de choses pour un pays sorti du joug de deux colonisations successives avec une population aussi diverse et sans grandes ressources naturelles. Nous sommes souvent érigés en modèle de réussite économique et social.
Cependant, nous avons toujours la sensation que l’on peut mieux faire. Nous avons des unfinished businesses en ce qui concerne notre identité collective et notre vivre-ensemble. Il y a encore des sources de tensions subtiles qui nous fragilisent, tant du point de vue ethno-religieux que socio-économique. Comment peut-on expliquer ces paradoxes qui sous-tendent la réussite mauricienne ? Telle était une des questions centrales de notre démarche en organisant cette conférence vigoureusement soutenue par l’Université de Maurice, le Mauritius Council et des sponsors des secteurs public et privé.
« Nous avons créé une manière de vivre-ensemble spécifique. Il s’agit de l’étayer davantage, de lui apporter plus de substance et de corps afin qu’elle se pérennise et ne se manifeste plus uniquement de manière sporadique. »
Avez-vous le sentiment que la réalisation d’un État-nation, du sens d’appartenance nationale et républicaine soit restée inachevée ?
Certainement. Même si je préfère rester optimiste sur notre potentiel à nous forger une vraie identité nationale. Nous avons créé, sans véritablement chercher à le faire consciemment, une manière de vivre-ensemble spécifique. Il s’agit de l’étayer davantage, de lui apporter plus de substance et de corps afin qu’elle se pérennise et ne se manifeste plus uniquement de manière sporadique. Il faut créer un vrai projet de société.
Ce qui nous a freinés dans ce sens, ce sont surtout les facteurs systémiques : notre partitionnement en communautés parfois artificiellement créées, notre système de représentation politique, notre répartition historique des pouvoirs économiques et politiques et les failles de notre système de valeurs au sein des familles, dans le monde professionnel et surtout dans le monde éducatif qui a, jusque-là, nourri la gangrène de la compétition malsaine au détriment de la vraie coopération citoyenne.
Le modèle mauricien du développement intercommunautaire et du fameux « dialogue interreligieux » est-il une réalité qui se vit au quotidien ?
Il y a eu beaucoup d’avancées sur le dialogue interreligieux. Il faut saluer ces efforts même si les vieux réflexes d’autoprotection communautaire se manifestent de manière inélégante de temps en temps dans le milieu ethno-religieux.
Au quotidien, je crois que nous arrivons à cohabiter relativement bien, du moment que certaines frontières demeurent infranchies. Il y a des consensus qui permettent de maintenir un certain équilibre. Un équilibre de temps en temps menacé mais qui globalement, mis à part les terribles émeutes raciales des années 67 et 99, demeure harmonieux. Cela dit, je crois que les questions d’identification ethno-religieuse s’estomperont progressivement malgré quelques inévitables tentatives de radicalisation.
La grande problématique qui me préoccupe de plus en plus, c’est la ghettoïsation subtile de notre société. À partir de la classe moyenne, il y a comme une fuite en avant dans les choix de logement, de scolarisation des enfants dans les écoles pour riches, de consommation effrénée et de styles de vie.
La jeunesse mauricienne est-elle capable de rejeter les réflexes « communautaristes » sectaires qui ont longtemps caractérisé certains rapports et qui se vérifient notamment durant les échéances électorales ?
Pour l’instant, la jeunesse mauricienne me paraît peu intéressée, voire informée sur la chose politique. Je ne suis pas sûre que le jeune Mauricien moyen soit conscient des mécanismes de notre système politique avec ses ressorts communautaristes visibles (Best Loser System) et invisibles (désignation des candidats, des maires, des ministres et autres nominés). Il y a tout un travail d’éducation et de literacy à faire à ce chapitre.
À travers ses individualités ou ses regroupements, la société civile peut-elle contribuer à l’édification de ce sens d’appartenance cité plus haut ?
La société civile mauricienne est composée d’une multitude d’acteurs avec des agendas multiples. Parmi, il y en a certainement qui peuvent contribuer à l’édification de ce sens d’appartenance. Cependant, on ne peut uniquement s’appuyer sur ces structures pour l’éducation citoyenne. Elle doit se faire également au quotidien, dans nos foyers, nos institutions, nos écoles et nos médias… partout.
Pourquoi d’autres personnalités, hors du milieu universitaire, n’ont-elles pas été invitées ?
L’appel à communication, même s’il est en priorité destiné au monde universitaire, a été diffusé de manière plus large sur notre site Web et sur les réseaux sociaux. Nous avons eu quelques contributions en dehors du milieu académique. Il est vrai que nos critères de sélection étaient assez élevés car nous voulons produire une publication digne de ce nom à partir des communications. L’idée est de produire un livre de référence analytique et non une simple publication de réclame pour nous faire plaisir.
Quelle sera la suite de cette conférence ? Les « papiers » pourront-ils faire l’objet d’une véritable dissémination « populaire », vers le bas ?
Absolument ! Nous avons préparé un Book of Abstracts. Il s’agit d’une publication, contenant tous les résumés des communications, qui sera mise en ligne pour un plus large accès. Ainsi, les membres du comité d’organisation, dont mes collègues Ramola Ramtohul, Roukaya Kasenally et moi-même, ont délibérément choisi d’ouvrir librement l’accès aux présentations aux membres du public dans la limite des places disponibles.
Les courts métrages mauriciens
Voici une copie de la présentation que j’ai faite ce matin lors du congrès du CIEF à Grand-Baie dans la session sur le cinéma.
La communication s’intitule ‘Le court métrage de fiction dans la sphère médiatique mauricienne’.