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23 MARS 2020
Communication de crise : avons-nous adopté la bonne stratégie ?
PAR ADILA MOHIT-SAROAR
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La pandémie du Covid-19; qui vient de faire une première victime à Maurice, provoque la panique dans l’île. On a noté des comportements irrationnels : frénésie d’achat et non-respect du confinement, entre autres. Le gouvernement a-t-il adopté la bonne stratégie de communication de crise ? Est-elle efficace ou comporte-t-elle des failles ? Des spécialistes en communication font le point.
Jean Claude L’Estrac : « Informer n’est pas communiquer »
« Nous avons reçu récemment un des grands spécialistes de la communication au plan mondial. Que nous a enseigné le sociologue Dominique Wolton ? Il s’efforce à démontrer qu’informer n’est pas communiquer. Parce que communiquer introduit la personne du récepteur, la manière dont elle reçoit le message. Ce qui implique que l’émetteur du message doit absolument se préoccuper du récepteur, faute de quoi sa communication débouche sur l’incommunication. Plus encore dans une communication de crise.
L’homme politique, de ce point de vue, fait face à une difficulté supplémentaire. Les citoyens sont en général méfiants à l’égard de la parole institutionnelle. Ils savent que souvent pour le pouvoir politique, communiquer c’est contrôler l’information pour mieux influencer les récepteurs.
Il y a eu jusqu’ici deux communications majeures du Premier ministre, deux jours de suite. La première a été catastrophique. On a vu un Premier ministre hésitant, fébrile, manifestement mal préparé à la communication de crise. Mauvaise scénographie, de plus, puisque Jugnauth est flanqué d’un ministre qui vient de dire, devant tout le pays, le contraire de ce qu’il annonce. Il a peut-être des circonstances atténuantes mais il ne s’est pas défendu. Il n’en faut pas plus pour susciter l’inconfiance du citoyen. Mais l’exercice était périlleux, il s’agissait d’informer avec justesse de la gravité des périls sans provoquer de panique.
La deuxième sortie du Premier ministre, son message à la nation, a été bien mieux maîtrisé. Il a été solennel et crédible. Le message est bien passé parce qu’il est apparu transparent dans l’annonce et empathique dans le ton. »
Javed Bolah : « Il faut une approche holistique »
« La communication en temps de crise ne se limite pas qu’à parler de la cause, mais devrait également concerner des mécanismes pratiques qui bouleversent le quotidien des gens. À titre d’exemple, comment faire pour payer les factures de l’électricité, de l’eau, de telephone ou autres. Comment empêcher les gens d’aller faire la queue pour qu’ils ne subissent pas de coupures ou de poursuites ?
Deuxio, la communication devrait également être classifiée par rapport à différentes audiences. Prenons le cas des ‘self-employed’ : ceux-là sont les plus à risque, car ils sont exclus des divers mécanismes de soutien de l’État. Mais eux aussi doivent faire vivre leurs familles. Comment faire pour les empêcher de sortir ? Ce dont nous avons besoin est un plan avec une approche holistique.
Commençons par comprendre que pour que les gens restent chez eux. Commençons par suspendre les factures et les prêts bancaires. »
Christina Chan-Meetoo : « Espérons que le bon sens va prévaloir »
« Il n’y a pas de stratégie parfaite. La décision d’imposer le confinement était attendue et il fallait la prendre. On aurait certes pu mieux faire en termes de communication. Les délais longs et les questions laissées en suspens ont agacé et créé de la confusion. Mais en même temps, par rapport à un service civil qui n’a pas la réputation d’être rapide et proactive, pouvait-on mieux faire ?On aurait souhaité que l’on eut communiqué les mesures pour faire respecter les consignes, y compris les dérogations. Les citoyens ont tout simplement suivi leur instinct de survie en allant faire des provisions, même si certains ont exagéré. On peut juste espérer que le bon sens va maintenant prévaloir. Surtout pour protéger les plus âgés et les personnes qui ont d’autres problèmes de santé.
La transparence est primordiale pour sensibiliser les citoyens et leur faire prendre conscience que leurs actions peuvent aggraver la situation. C’est aussi pour ne pas laisser circuler la rumeur, cela pourrait avoir des conséquences néfastes. Toutefois, je constate que les informations venant des autorités sont plus régulières et claires. »
Un cadre du Prime Minister’s Office : « Avant tout, une responsabilité individuelle »
« Dans une situation de crise, on prend des décisions importantes. Alors, au lieu de faire une déclaration à la presse, le PM préfère s’adresser directement à la nation.
Il faut, bien sûr, faire la différence entre communiquer et informer. Sur une base quotidienne, il y a un briefing avec la presse; puis il y a une intervention spécifique. C’est pour passer des informations sur des décisions.
On fait de notre mieux pour sensibiliser la population. Prenons l’exemple du confinement que plusieurs ne respectent pas. Comment faire comprendre à un parent qui envoie son enfant aux leçons que c’est mieux que celui-ci reste à la maison ? Un citoyen doit assumer ses responsabilités pour se protéger ainsi que sa famille. C’est pourquoi nous imposerons des règles plus contraignantes.
Les Mauriciens doivent comprendre qu’il s’agit avant tout d’une responsabilité individuelle. L’État donne des consignes, mais à chacun de les respecter et se montrer responsable. »