Paru dans L’Express le Dimanche 27 janvier 2008
CHAÎNES PUBLIQUES ET PUB
Une liaison dangereuse ?
Selon Nicolas Sarkozy, la publicité et la télévision publique ne seraient pas faites pour s’entendre. Raison pour laquelle il projette de supprimer totalement les pubs sur les chaînes publiques françaises. Mais est-ce que les télévisions publiques peuvent se passer de recettes publicitaires ? Et la pub dans le fond, est-elle si mauvaise ?
La publicité fait partie de notre quotidien. Mais dans les coulisses, l’on se demande si elle n’altère pas la qualité des programmes diffusés sur les chaînes publiques.
La publicité fait partie de notre quotidien. Mais dans les coulisses, l’on se demande si elle n’altère pas la qualité des programmes diffusés sur les chaînes publiques.
Sarkozy a dit stop à la pub sur les chaînes publiques. C’était lors de sa conférence de presse de sa grande rentrée. Ses raisons : « Les chaînes publiques ne doivent pas fonctionner comme les chaînes privées. Elles doivent garantir un accès à tous à la culture et défendre la production française. »
Mais une question se pose : la dimension commerciale menace-t-elle vraiment le cahier des charges culturel des chaînes publiques ? « Les chaînes de service public doivent être d’utilité publique. Et parfois, le modèle commercial peut les détourner de cet objectif, car la pub étant une source de revenus, les chaînes publiques se retrouvent quelque part forcées à concevoir des émissions dans l’unique but d’attirer les publicitaires », explique Christina Chan-Meetoo, chargée de cours en Communication à l’université de Maurice.
D’un autre côté, Christina Chan-Meetoo met en avant les dangers qui guettent les chaînes totalement tributaires du financement de l’Etat. Il faut savoir qu’actuellement les chaînes publiques sont financées partiellement par la pub et par l’Etat. Comme l’explique Christina Chan-Meetoo, l’Etat peut utiliser le fait de financer totalement les chaînes publiques comme levier pour en contrôler le contenu. « C’est étonnant que Sarkozy, qui est quelqu’un versé vers le libéralisme, opte pour ce projet qui penche davantage vers le socialisme. »
En fait, quel est le rôle de la pub ? Informer, manipuler, distraire ? « Les pubs sont créées pour informer, mais aussi pour divertir. Et on fait de sorte qu’elles soient créatives, originales afin de rester gravées dans l’esprit des gens. Toutes les agences de l’association travaillent dans l’optique que les pubs aient un entertainement factor », avance Pria Thacoor, présidente de l’Association of Advertising Agencies (AAA). « On ne vend pas la pub, mais des idées créatives. On s’assure que l’entertainment factor est présent pour que les gens s’en rappellent, et se détendent en la visionnant. On ne peut pas se permettre de couper des gens dans leurs films pour des choses idiotes », continue-t-elle.
La pub lance des modes
Mais le débat de toujours demeure l’influence de la pub sur l’acte d’achat du téléspectateur. Christina Chan-Meetoo avance qu’une série d’études doivent être faites pour confirmer si la pub manipule les consommateurs.
De son côté, Pria Thacoor explique que la publicité lance des modes, des trends. Elle peut aussi rendre célèbre une chanson, créer des évolutions dans la culture en intégrant des nouveaux mots dans le vocabulaire, par exemple, et l’aide à faire avancer la culture. Mais il y a aussi des pubs « sociales » pour le sida, la drogue, la violence domestique où on a autant pour but de sensibiliser et d’informer les gens sur ce qui se passe.
« Je suis sûr que chacun d’entre nous au sein de l’AAA a fait, au moins une fois des designs, des campagnes gratuitement pour une cause bénévole, sociale », déclare-t-elle.
Et l’opinion publique dans tout ça ? Christina Chan-Meetoo est d’avis que les « pubs font partie de notre quotidien. Elles sont devenues synonymes de notre culture quelque part. Un téléspectateur moderne, averti, mature sait faire le tri entre les pubs pour savoir ce qui est bien pour lui ou pas. Des pubs bien exécutées, esthétiques, humoristiques, avec un message qui colle à votre profil sont des petits films agréables. »
Martine Luchmun, Programmes Coordinator à la MBC télé, est du même avis. « Personnellement, cela ne me dérange pas que des entractes publicitaires s’insèrent pendant mon film. C’est un entracte pour aller se mettre quelque chose sous la dent, même si parfois c’est vrai, la publicité coupe le rythme du film ou prolonge le suspense, l’angoisse. Mais la publicité est une réalité presque obligée. Et puis, je trouve que certaines pubs ressemblent à des petits films divertissants, frais et innovateurs. »
Au bout du compte, on peut se demander si une chaîne comme la MBC pourrait se passer de la publicité ? « Les chaînes publiques étrangères peuvent se permettre de supprimer les publicités, car elles peuvent se débrouiller financièrement et combler les manques à gagner de la suppression des recettes publicitaires. Mais pour une station de télé locale, ce sera difficile de survivre sans des revenus issus de la pub », explique Pria Thacoor.
Martine Luchmun abonde presque dans le même sens. « Supprimer totalement la publicité peut avoir pour conséquence la suppression de certains programmes ou le limogeage du personnel pour pallier les manques à gagner. La télévision, comme d’autres médias, pourrait difficilement vivre sans recettes publicitaires. C’est un apport conséquent, c’est une réalité de notre époque. »
Mais n’est-il pas affolant que les télévisions dépendent de la pub pour offrir des films et des programmes ? « Avant, les télévisions ne pouvaient pas offrir certains programmes à leurs téléspectateurs, car cela coûtait trop cher. Mais les recettes publicitaires permettent aux télévisions de leur offrir ces programmes », indique la chargé de cours en communication. La pub est une bonne chose en soi, ajoute-t-elle, mais « trop de pubs tuent la pub », avoue-t-elle. « On vit dans une société capitaliste, libéralisée. La société
de consommation est une logique, il faut juste savoir baliser. Il y a le quotient qualité et quantité », explique-t-elle.
Joanna SEENAYEN
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