QUESTIONS A CHRISTINA CHAN-MEETOO, «LECTURER» EN COMMUNICATION ET ETUDES DES MEDIAS
«Les politiques sont concernés par leur propre protection»
Chargée de cours à l’université de Maurice, Christina Chan-Meetoo nous apporte son éclairage sur la liberté et les responsabilités de la presse. Des lois plus sévères ? Pourquoi pas tant que l’on veut vraiment protéger tout le monde et pas que les hautes sphères…
● Est-ce que la police a eu raison d’agir comme elle l’a fait dans le cas des trois journalistes accusés de publication de fausses nouvelles ?
L’arrestation des trois journalistes semble une action excessive au vu de ce qui leur est reproché. S’il y a effectivement publication de fausses nouvelles, il aurait été plus judicieux de procéder à une mise au point afin d’effectuer un démenti. D’autant plus que la nouvelle a été traitée par Week-End dans un petit paragraphe sans aucune précision qui puisse permettre d’identifier qui que ce soit. L’info a même été présentée comme une rumeur qui circule dans la force policière…
● D’aucuns disent que cela arrive justement à un moment où le Premier ministre (PM) menace d’introduire des lois plus sévères à l’égard de la presse. Qu’en pensez-vous ?
Ces menaces sont récurrentes depuis quelque temps déjà et n’ont pour le moment pas été mises à exécution. Le spectre du Media Commission Bill a été agité l’an dernier mais rien n’a été concrétisé. Il semblerait que c’est un artifice qu’affectionnent nos PM successifs puisque Paul Bérenger avait été aussi virulent dans ses attaques contre la presse lors de son mandat.
● Si la police a pu agir, c’est bien signe que les moyens de lutter contre la publication de fausses nouvelles ou la diffamation font déjà partie de nos lois…
Oui, c’est vrai. Mais si ces moyens sont utilisés de manière discriminatoire, il y a là matière à réflexion. N’y a-t-il pas beaucoup d’autres fausses nouvelles qui sont publiées ? Combien de citoyens ordinaires se retrouvent cités dans les journaux avec des informations pas tout à fait exactes à leur propos ? Cela me fait penser au faux pas concernant l’affaire Facebook-ICTA. Une des raisons évoquées pour le blocage du site à Maurice était la protection des citoyens. Mais on constate malheureusement que les autorités ont tendance à avoir une vision minimaliste de la protection des citoyens. De quels citoyens parlons-nous ? Les décideurs politiques sont avant tout concernés par leur protection personnelle, pas vraiment celle de tous les citoyens.
● Alors, comment expliquer l’insistance du PM de venir de l’avant avec sa «Media Commission» ?
On n’a pas vraiment entendu parler de la Media Commission dernièrement. Il s’agissait plutôt de lois, ce qui est différent.
● En quoi est-ce différent pour vous ?
Nous avons très peu d’informations officielles au sujet de la Media Commission mais elle me fait penser à une institution où les gens sont nommés et jugent au cas par cas selon des règles et un cadre préétablis. Alors que les lois ne nécessitent aucune nouvelle institution. Elles donnent à la police des moyens d’agir.
● Est-ce qu’il serait sain et souhaitable d’avoir des lois plus sévères contre la presse ?
Tout dépend des objectifs que l’on veut atteindre. Si on souhaite sincèrement protéger tous les citoyens indistinctement, c’est une bonne chose car il y a certainement des inexactitudes, des approximations et le sensationnalisme qui peuvent porter préjudice à la société. Bien sûr, il faut engager une réflexion profonde et des consultations réelles, voire même procéder à une étude des pratiques journalistiques afin de prendre des décisions éclairées. En revanche, s’il s’agit pour les gouvernants et autres décideurs de se protéger avant tout, d’empêcher la presse de faire son métier, la démarche est critiquable. En tant que personnages publics dont les agissements influent sur la qualité de la démocratie, ils doivent accepter de jouer le jeu de la transparence.
● Est-ce que vous voyez cela comme une tentative de museler la presse ?
Disons qu’il s’agit là d’avertissements maladroits car je ne crois pas que la presse se laissera faire. Par contre, cela risque de mener les journalistes moins expérimentés ou moins courageux à l’auto-censure afin de ne pas être sujets à des critiques ou à des arrestations similaires.
● Croyez-vous dans l’institution d’une «Media Commission» ou pensez-vous que ce n’est qu’une tentative d’intimidation envers la presse ?
Il me semble que, pour l’instant, c’est une menace que l’on brandit pour faire peur car plus d’une année est passée mais rien n’a été concrétisé. Il se peut que la stratégie soit la suivante : on lance des menaces pour calmer les ardeurs de la presse et si ça ne marche pas, on procédera à l’exécution de ces menaces.
● Est-ce qu’il ne serait pas plus judicieux que la profession institue sa propre institution autorégulatrice ?
Je l’ai toujours dit mais l’ennui c’est qu’on en entend beaucoup parler mais rien n’est fait. Des associations se créent mais cela s’arrête là. Avec la dissémination de l’information à travers l’internet et les nouvelles technologies, je pense que la responsabilisation se fera. Il faut un dialogue avec les citoyens. J’ai aussi l’impression qu’il y a nombre de frictions et de rivalités qui n’aident pas la cause et la profession.
● Est-ce que le public aura confiance en une institution d’autorégulation ?
Tout dépend de la manière dont cela se fait. Si cette autorité est bien faite et qu’il existe une réelle volonté au sein de la profession de prendre en compte les doléances du public et d’engager le dialogue, alors je dis oui. Cela devrait être comme les constats à l’amiable mais en aucun cas une simple vitrine.
● Est-ce que vous pensez que les menaces gouvernementales successives sont liées au pouvoir de la presse ? Jouit-elle d’une bonne réputation auprès du public ?
La relation presse-public (de même que la relation presse-pouvoir) est ambivalente. On la critique mais on ne peut pas vraiment s’en passer. Les accusations de partisanerie contre les journaux sont légion dans le public mais le lectorat ne diminue pas pour autant.
Quant aux politiciens, ils aiment dire qu’ils vont boycotter tel ou tel journal, qu’ils ne vont plus le lire. Mais en réalité, ils ne le font pas. Ils ont besoin de savoir ce qui est écrit et publié à leur sujet ou au sujet des dossiers sur lesquels ils travaillent ; ils ont besoin de la couverture médiatique pour être davantage présents sur la scène publique.
● La presse est-elle réellement un 4e pouvoir à Maurice ?
Je dirais oui dans une certaine mesure. La presse aide à créer un équilibre dans la sphère publique en mettant sous les projecteurs les abus et les problèmes. En agissant en somme comme un contre-pouvoir. En même temps, elle peut mettre à profit sa capacité à disséminer des informations à un large public, voire même à influencer l’opinion publique, pour des intérêts particuliers.
● Pensez-vous que les médias mauriciens sont libres ?
Si on se réfère aux classements évaluant la liberté de la presse, nous avons une bonne performance, surtout dans la région. N’empêche que les médias ne sont jamais entièrement libres, objectifs ou neutres. Le modèle économique qui repose sur les revenus publicitaires pointe vers une dépendance et une allégeance envers les annonceurs.
● Vous parlez d’allégeance envers les annonceurs mais le problème d’objectivité dépasse ce cadre. Après tout, les journalistes ne sont que des êtres humains…
Je suis d’accord. Il n’y a pas d’objectivité pure et la neutralité n’existe pas. C’est en quelque sorte le premier niveau de non-objectivité qui est acceptable et ne peut être condamné. Là où cela devient dangereux, c’est quand cela commence à être institutionnalisé et débouche sur l’auto-censure ou la promotion de certains intérêts.
● Sont-ils responsables ?
Qu’entend-on par ce mot? De quelle responsabilité s’agit-il ? Envers la vérité, mais laquelle ? C’est une notion relative que nous devons justement définir de manière collective afin de baliser ce qui est acceptable ou pas. Il y a vraisemblablement une diversité dans la pratique journalistique en ce qu’il s’agit de l’éthique. Certains journalistes sont plus responsables que d’autres. Et ceux qui peuvent être considérés comme responsables peuvent occasionnellement agir de manière peu éthique…
● Est-ce que le pouvoir doit «rendre des comptes» à la presse ?
Le pouvoir doit rendre des comptes au public. La presse est théoriquement un intermédiaire entre le pouvoir et le public pour aider à maintenir ou améliorer la démocratie. Donc, si le pouvoir veut jouer le jeu de la transparence, il a intérêt à s’expliquer sur la place publique et la plateforme idéale est la presse, du moins pour l’instant.
Pauline ETIENNE
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