Article publié le 9 janvier 2019 par Jean Claude Dedans dans Le Défi
Si elle accueille favorablement la décision du gouvernement d’introduire la gratuité de l’enseignement supérieur, Christina Chan-Meetoo, Senior Lecturer à l’Université de Maurice, explique qu’il y aura inévitablement un tri parmi les postulants et que seuls les meilleurs y auront accès.
« L’université n’est pas une continuation ou une extension du collège »
Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a annoncé que l’enseignement supérieur sera gratuit à partir de la prochaine rentrée universitaire. Qu’en pense la Lecturer que vous êtes ?
Cette mesure sera un soulagement financier pour beaucoup de familles, surtout celles au bas de l’échelle. C’est une mesure populaire. J’accueille également l’idée de ne pas faire payer les étudiants à temps partiel, de même que ceux de l’UTM, de l’UoM et des polytechniques.
Est-ce que les universités publiques pourraient accueillir autant d’étudiants, car il y aura un ‘rush’ ?
Depuis quelques années, le nombre d’étudiants est en baisse à l’Université de Maurice avec le déclin démographique. Tout le monde pense que le nombre d’admis va augmenter avec cette mesure, ce qui ne sera pas le cas. Par exemple, pour le département de la communication, on recrute 60 étudiants sur 200 demandes. On en prend les meilleurs, choisis à travers un logiciel.
Il y a donc un tri qui se fera ?
Absolument, il y aura un tri malgré la gratuité. Si un étudiant n’a pas les qualifications et les normes requises, il est rejeté. C’est pour cela que je conseille aux étudiants, qu’aussitôt leurs résultats de HSC obtenus, qu’ils viennent au ‘job fair’ à l’UoM ou dans d’autres universités publiques, comme cela ils pourront voir, selon leurs résultats, quelle filière choisir. Parce que, selon leurs résultats, ils ne pourront choisir une filière qui ne correspond absolument pas à leurs résultats. Maintenant, pour la filière communication, si un candidat se désiste sur les 60 admis, on prend le candidat qui suit sur la liste du logiciel. À l’UoM, tout est fait dans la transparence totale, les plus méritants sont choisis.
Si un étudiant choisit une matière dans laquelle il veut faire carrière mais que ses résultats ne correspondent pas, que faire ?
Il y a différents cours, certains exigent d’excellents résultats, d’autres sont moins contraignants. De ce fait, l’étudiant, quand il postule, doit se digérer vers des filières qui correspondent avec ses résultats.
Mais s’il y a une filière qu’il veut absolument poursuivre et que les exigences académiques ne correspondent pas à ses résultats ?
Il y a diverses combinaisons et l’étudiant doit pouvoir choisir la bonne filière et s’il insiste pour en adopter une dans laquelle il se sent à l’aise mais que ses résultats ne lui permettent pas d’y avoir accès, je lui conseille de refaire son HSC et de consolider ses bases pour pouvoir être accepté par la suite à l’université. Il faut nécessairement construire ses bases et ne pas insister coûte que coûte.
Avoir des étudiants avec une base dite faible, est-ce un problème ?
Pour nous les lecturers, avoir des étudiants qui n’ont pas le niveau, même basique, c’est compliqué, je dois l’admettre.
Se dirige-t-on vers un nivellement vers le bas avec cette gratuité de l’enseignement supérieur ?
Pas nécessairement. Ce qu’il faut c’est une responsabilisation des étudiants. Il faut que les parents investissent dans les livres, que les jeunes continuent de parfaire leurs connaissances générales en ligne. Il faut que les étudiants et les parents sachent que l’université n’est pas une continuation ou une extension du collège.
« Avoir des étudiants qui n’ont pas le niveau, même basique, c’est compliqué »
La base académique est-elle essentielle ?
Il y a beaucoup de travail à faire. Il y a des jeunes qui apprennent d’eux-mêmes, alors que d’autres restent dans leur cocon familial. Il y a une masse très passive qui se gave de réseaux sociaux.
Peut-on dire qu’on a une pauvreté dans la qualité de certains de nos étudiants, qui se voient déjà universitaires avec la nouvelle mesure du gouvernement ?
Le problème se situe à plusieurs niveaux. Il faut combattre cette pauvreté intellectuelle. Tout le monde a le même potentiel intellectuel, il faut juste savoir le développer. Il faut responsabiliser les jeunes, leur faire savoir comment développer leur quotient intellectuel, comment canaliser leurs ressources. Il est dommage que certains, dans la société dans laquelle on vit, pensent que tout devrait leur être offert sur un plateau.
On revient à la question de tri : ne serait-ce pas une discrimination ?
Si on augmente le nombre d’étudiants, il va falloir augmenter le budget des universités, d’autant que les ‘fees’ seront désormais gratuits.
Un étudiant avec un résultat de 3E en HSC n’aura-t-il pas le droit d’intégrer une université publique ?
Je serais personnellement indignée d’avoir à accepter un étudiant avec un HSC de 3E, juste parce que l’enseignement supérieur sera gratuit à partir de cette année. Jusqu’à maintenant, l’admission s’est effectuée selon les résultats. Les plus méritants seront admis selon les cours auxquels ils ont fait la demande.
Les détails ne sont pas encore fournis, y aura-t-il débat par la suite ?
Les cours jusqu’à la licence seront gratuits, dépendant des compétences académiques de l’étudiant, quel que soit son âge, selon ce que j’ai appris. Attendons les détails pour en dire davantage. Puis, où caser ces diplômés par la suite ?