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Réseaux sociaux : Nouvelles réglementations – Christina Meetoo : «Il faudrait plutôt remettre à jour les lois existantes»
12 NOVEMBRE 2018
PAR RIZWAAN KHODABUX
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Christina Meetoo
L’amendement apporté à la « Judicial and Legal Provision Act » pourrait s’avérer dangereux, si un gouvernement décidait de régler ses comptes avec ses adversaires. Cependant, Christina Meetoo, Senior Lecturer en communication et média à l’université de Maurice, pense que ce genre de situation est peu probable à Maurice. Même si elle avoue ne pas comprendre la motivation et la précipitation du gouvernement.
« On peut mettre toutes les lois que nous voulons, si une personne n’adopte pas de bonnes manières dans sa vie de tous les jours, il aura tendance à se lâcher lorsqu’il est en ligne »
Comment accueillez-vous la décision d’amender la « Judicial and Legal Provision Act » ?
À la requête du bureau de l’Attorney General, la Law Reform Commission a entrepris une étude comparative sur les lois de différents pays régissant les faux profils, les fausses nouvelles et d’autres pratiques pouvant potentiellement être nuisibles sur les réseaux sociaux. C’était bien documenté et des recommandations intéressantes ont aussi été faites. Ce qui m’étonne, c’est d’une part, la précipitation entourant les amendements apportés à la Judicial and Legal Provision Act, qui n’est qu’un paragraphe parmi tant d’autres amendements proposés. D’autre part, il semblerait que les recommandations du rapport de la Law Reform Commission n’ont pas été prises en considération. Je ne comprends pas sa motivation. Cela me paraît un peu odd.
Faudrait-il une loi pour réglementer commentaires et opinions sur les réseaux sociaux ?
Pas une loi comme telle, mais il aurait fallu plutôt remettre à jour les lois existantes. Je ne suis pas légiste, mais les propositions faites par la Law Reform Commission étaient intéressantes. Elle a souligné qu’il existait déjà des provisions dans d’autres lois pour interdire les délits sur la Toile, telle que la child pornography, mais sans pour autant spécifier que cela concernait les délits commis par voie électronique.
On change quelques mots çà et là et le tour est joué ?
Les lois à elles seules ne suffisent pas. Il y aura toujours des personnes qui iront à l’encontre de celles-ci, que ce soit par ignorance ou parce qu’elles savent que ce serait compliqué pour quelqu’un d’engager des poursuites contre eux. Il aurait fallu éduquer la population sur le Digital & Media Literary et l’éducation civique qui vont de pair avec ces amendements. On peut introduire toutes les lois que nous voulons, si une personne n’adopte pas de bonnes manières dans sa vie de tous les jours, il aura tendance à se lâcher lorsqu’il est en ligne. Il aura le sentiment que ce ne sera pas facile de le retracer, ce qui n’est pas faux. La difficulté, surtout, c’est comment appliquer les lois mauriciennes sur des sites ou des contenus qui se trouvent sur des serveurs à l’étranger.
Vous voulez dire que pour le cas de Facebook, par exemple, cette loi serait inefficace ?
C’est plus une mesure dissuasive qu’autre chose. Peut-être que certaines personnes vont y penser à plusieurs fois avant de mettre un commentaire ou poster des choses. Ce enn tipe komsi pe fer per. Mais dans la réalité, ce serait compliqué. S’il fallait vraiment remonter jusqu’aux auteurs des posts contenant des faussetés ou diffamatoires et qui vont à l’encontre de nos lois, nous nous retrouverons avec des centaines, voire des milliers de cas sur les bras. Cela dit, cette loi peut s’avérer dangereuse si un gouvernement quelconque l’utilise pour régler ses comptes avec ses adversaires politiques.
Mais aussi les opposants au gouvernement et les médias, n’est-ce pas ?
Soyons honnête. à l’exception des années 70, il n’y a pas eu, au cours de ces dernières décennies à Maurice, de persécution contre des médias par un gouvernement comme dans certains pays. La majorité des politiciens ont des affinités avec certains membres de la presse. Il y a eu des incidents, certes, mais c’est plus des actes irréfléchis qu’autre chose.
Qu’est-ce qui devrait être permissible et qu’est-ce qui ne devrait pas l’être ?
Les lois font déjà mention de tout ce qui n’est pas permissible : Public Offence, incitation à la haine raciale, diffusion de fausses nouvelles, diffamation etc. Ce qu’il faut, c’est les remettre à jour, les harmoniser, revoir leur formulation et les pénalités prévues par la loi. C’est d’ailleurs ce que préconise le rapport de Geoffrey Robertson, mais qui a, malheureusement, fini au fond d’un tiroir. Aussi, il faut regarder les lois dans leur ensemble, mais à Maurice, c’est plus get enn tibout parsi, enn tibout parla.
êtes-vous d’accord avec ceux qui disent que ces amendements portent atteinte à la liberté d’expression ?
Tout dépendra de sa mise en application, car il faut savoir ce qu’ils veulent dire par annoyance, humiliation, etc. Actuellement, c’est trop vague. Ce qui aidera aussi, c’est lorsqu’il y aura des test cases en cour. C’est à ce moment-là que nous saurons comment les cours de justice vont juger ces cas. La cour devra prendre en considération cette nouvelle loi, tout en tenant compte des dispositions de la Constitution qui garantissent la liberté d’expression et celle de l’information.
Mais ne pensez-vous pas que les internautes vont hésiter à s’exprimer librement, lorsqu’ils sont contre une décision gouvernementale ou contre les propos ou actions d’un ministre ?
Oui et non. Pour le commun des mortels, peut-être que cela aura un effet dissuasif, mais pour ceux qui sont engagés dans des luttes, je ne pense pas que cette loi va les freiner dans leur démarche.
La liberté d’expression signifie-t-elle qu’on peut tout dire ?
Bien sûr que nous ne pouvons pas tout dire. Cependant, il y a certaines choses que je devrais pouvoir dire. À travers la caricature, par exemple, ou encore une émission satirique. Je dois néanmoins informer qu’il s’agit d’une caricature ou d’une émission satirique. Mais là encore, il ne faut pas tomber dans l’excès.
« Nous ne savons pas communiquer. Nous accumulons des frustrations, que nous libérons sur la Toile. Là encore, je crois sincèrement que l’éducation civique est importante »
Ce qui est, bien sûr, subjectif..
Mais tout est subjectif. Ce qui est acceptable aujourd’hui ne l’était pas hier et ce qui était acceptable hier ne l’est pas aujourd’hui. Mais il y a ce que nous appelons le collective common sense, qui fait que nous sommes tous plus ou moins d’accord sur certaines choses. C’est juste que parfois, lorsque nous sommes sur la Toile, nous oublions ce common sense.
Justement, il semblerait que c’est plus facile de faire des commentaires derrière un écran ?
Effectivement. Nous nous sentons intouchables derrière notre écran. Le problème, c’est que, des fois, nous avons tendance à faire des commentaires sans pour autant prendre en compte que cela pourrait porter atteinte à quelqu’un d’autre. Mais viendra un jour où tout ce qui se fera se saura. Tout pourra être retracé facilement. C’est juste qu’à Maurice, nous n’avons pas encore les compétences techniques nécessaires pour le faire. Mais imaginons que les autorités compétentes fassent l’acquisition d’un logiciel qui leur permet de le faire, ce sera alors un jeu d’enfant.
Pourquoi ce besoin irrésistible de critiquer, d’exprimer sa haine, son désaccord ?
Le problème, c’est que nous ne savons pas communiquer. Souvent, nous ne sommes pas francs dans la vie réelle envers les personnes que nous côtoyons. Nous accumulons alors des frustrations, que nous libérons sur la Toile. Là encore, je crois sincèrement que l’éducation civique est importante.
La Civic Education serait alors le remède miracle ?
La Civic Education, dès l’enfance, à l’école est une des solutions. Cependant, pas dans le sens What is civic education ?, mais une qui soit ventilée à travers toutes les matières enseignées. À cet effet, nous sommes très archaïques dans la manière à laquelle se déroulent nos classes. L’enseignant dispense le cours, l’élève écoute et répond que lorsqu’une question lui est adressée. Or, il aurait fallu plus de travail d’équipe entre les élèves, plus d’échanges et des débats d’idée. C’est ainsi qu’ils pourraient mieux s’exprimer, de même qu’à travers des présentations devant la classe. Je trouve cela horrible qu’un enfant puisse passer toute sa scolarité, de Grade 1 au HSC, sans avoir eu l’opportunité de faire une présentation devant la classe.
Est-ce que les réseaux sociaux favorisent les bons débats ou c’est que du palabre ?
Il y a effectivement des commentaires ou des posts publiés, mais sans aucune réflexion derrière. Il n’y a pas de débat d’idées. C’est souvent pour se promouvoir se vanter. ‘J’ai fait ceci, j’ai fait cela… J’ai rencontré untel, j’ai mangé ceci’. Il n’y a aucun partage d’idées. Et souvent, lorsqu’il s’agit d’un partage d’idées, c’est en fait une idée qu’on cherche à imposer. ‘Mon idée est la meilleure !’ Dans ce pays, tout le monde sait tout sur tout et théoriquement, nous sommes le meilleur pays au monde !
Mais parfois, lorsqu’un internaute essaie de lancer un débat, il est tourné en dérision. Ce qui est loin d’être encourageant, vous en conviendrez !
Les dérapages sont légion sur la Toile. Autant en face-à-face, nous sommes peu bavards – d’ailleurs, lorsque nous entrons dans un ascenseur, il n’y a même pas de bonjour, de sourire ou ne serait-ce qu’un croisement des yeux – autant sur la Toile, nous sommes comme des « déchaînés ». Bien sûr, on parle d’une poignée de personnes, mais le problème, c’est qu’ils sont très visibles, ils polluent les espaces et cela devient malsain.
Outre les commentaires et opinions, il y a aussi le partage de photos/vidéos. Une voiture mal garée et le couperet tombe..
C’est un problème aussi, car c’est une forme de voyeurisme. Les critiques sont gratuites et parfois, nous en arrivons à des conclusions qui ne sont pas forcément les bonnes. Les médias aussi sont concernés. Il n’est pas rare que des photos d’une personne impliquée dans un fait divers soient publiées dans les journaux ou qui soient reprises sur les sites d’informations.