Le long métrage ‘La Cathédrale’ de Harrikrisna Anenden a été montré pour la première fois hier soir dans les jardins du Centre Culturel Charles Baudelaire. Le film est inspiré d’une nouvelle écrite par son épouse Ananda Devi en 1977.
C’est un beau film qui célèbre la poésie particulière de la ville de Port-Louis et des visages qui grouillent dans ses rues. J’ai beaucoup apprécié l’esthétisme des images du cinéaste, dont c’est la première fiction. Il nous livre une belle photographie accompagnée d’une bande sonore qui utilise à fond le séga avec des classiques tels ‘Charlie’, ‘Alouda Limonade’, ‘La Riviere Tanier’.
La capitale
Si l’histoire tourne autour de Lina, une fille de soleil, avec ses rêves et ses doutes, c’est surtout la ville de Port-Louis, ses rues, ses vieilles maisons en bois et tôle, ses trottoirs, son vacarme et les corps qui y défilent (mendiants, colporteurs, jeunes cadres, businessmen, flâneurs…) qui semble en réalité être le véritable sujet du film. A tel point qu’on devrait probablement changer le titre du film pour ‘La Capitale’!
On sent d’ailleurs le regard omniprésent du photographe et du documentariste tout au long du film (Anenden a été photographe, puis réalisateur de films documentaires pour l’OMS), celui qui va à la recherche du typiquement mauricien afin d’en fixer le souvenir (le vieux Marché Central par exemple).
C’est un film qui ne manquera pas d’évoquer des souvenirs et de la nostalgie chez ceux qui ont connnu les maisons en bois avec le ‘godon’ ou ‘godam’, les volets en bois, les vieux tuyaux et la robinetterie ancienne, le lit ‘collégien’, la lessive sur roche (lave linze lor rosse), le ‘coco rapé’ (glaçons râpés)….
Bref, un cinéaste qu’il faudra surveiller. L’histoire est certes un peu mince et le corps de la belle jeune fille aurait pu être exploité de manière plus subtile (ça déhanche un peu trop à mon avis et elle est trop lisse pour être réelle) mais nous avons là les premiers pas d’un novice dans l’art de la fiction cinématographique.
L’épisode chez la guérisseuse (longaniste-traiteur) est une belle trouvaille avec de multiples travellings (de gauche à droite et vice versa) déroutants sur les deux personnages. Le feu crépitant et le fond noir qui remplit parfois le cadre lors de ces travellings créent une atmosphère de mystère et d’étouffement.
Un mot sur les acteurs
L’actrice principale, Ingrid Blackburn, est prometteuse. Elle devrait peut-être davantage intérioriser son rôle. On sent qu’elle vient d’un autre milieu que celui de son personnage; son créole en porte les traces et elle joue un peu trop de son corps. Mais les expressions faciales sont bonnes et pas ‘surfaites’ comme c’est souvent le cas à Maurice.
Le père est bien interprété par Darma Mootien. Dommage qu’on ne le voit pas plus. La mère est également bien interprétée par Geeta Mootien. Tous deux sont des personnages réalistes dont le jeu est juste. La remarque vaut aussi bien pour le marchand de glaçons.
Le jeune soupirant San, incarné par le fils du réalisateur, nous accorde une belle image qui rappelle un peu les jeunes passionnés du ‘Cercle des Poètes Disparus’ avec sa belle envolée lyrique sur Shakespeare.
Le photographe est aussi bien interprété par Yves Hermann même si la scène finale est un peu maladroite et que ses scènes de ‘poète-écrivaillon’ ne convainquent pas.
Partie officielle
Lors de la présentation officielle, Ananda Devi a été égale à elle-même avec son maniement parfait des mots et sa poésie tranquille. Son époux, le cinéaste est, lui, d’une simplicité et d’une modestie peu courantes en ce bas-monde.
Par contre, un mauvais point pour Christophe Vallée, le philosophe, qui a failli gâcher notre plaisir en nous parlant du film avant la projection. Il nous a tartiné une présentation de 5-6 pages, trop content de faire montre de sa capacité à manier la langue de Molière et à pontifier. Un vrai fat, dirait ce gentil Molière. Il y a parfois des gens qui aiment s’entendre parler sans savoir si les autres aiment les entendre.
Une image de Harrikrisna Anenden vaut bien cent heures de babillage à la Vallée…